L’Astrada, le bonheur est dans le près
À Marciac, la musique des quatre saisons n’est pas signée Vivaldi, mais L’Astrada. Un bijou d’acoustique boisée. Une salle de 500 places qui prolonge le festival à l’automne, fait chauffer le swing en hiver et annonce la suite au printemps.
Longtemps, la cigale du festival n’aura chanté que l’été. Et puis un premier miracle vit le jour, un collège, un cas unique, accueillant des élèves venus de toute la France suivre les ateliers d’initiation à la musique de jazz. Et depuis 2011, le festival enfonce le clou et fait des ricochets tout au long de l’année. Car c’est un magnifique projet culturel en milieu rural qui a vu le jour avec L’Astrada. Imaginatif, ambitieux, exigeant, généreux. Au pays des mousquetaires, c’est non seulement « Un pour tous, tous pour un », mais désormais le « Yes, we can ! » emprunté à la terre natale du jazz. Pour autant, ce qui s’appelle un « projet culturel de territoire » ne se contente pas de proposer une programmation de concerts et de spectacles de grande qualité. Certes sur la trentaine de spectacles de la saison le jazz est prioritaire, mais on y retrouve également des rendez-vous chanson, classique, musiques du monde, théâtre, danse, cirque ou humour. mais intègre aussi un volet création, avec des résidences d’artistes, mais aussi des stages de formation professionnelle, des actions vers le jeune public et un soutien à la filière jazz de la région Occitanie.
C’est ainsi que l’Astrada prolonge l’idée fondatrice du festival : partager le plaisir des découvertes, créer des liens féconds entre les artistes et les publics, susciter l’appétit de transmission… Pas de hasard, puisque L’Astrada (la Destinée, en occitan), est née de la volonté de l’association Jazz in Marciac, celle qui fut à l’origine du festival en 1978. Depuis 2018 l’Astrada est devenue un Établissement Public de Coopération Culturelle (EPCC). Un outil d’intérêt général en pleine zone rurale, là où on se désole d’ordinaire de voir s’éloigner les services publics les uns après les autres. Voilà une sacrée bonne nouvelle si elle s’accompagne des moyens nécessaires. On savait que dans le Gers le bonheur est dans le pré, voilà qu’il est aussi dans le « près », dans une culture de proximité.
Depuis son ouverture en 2011, l’Astrada est totalement partie prenante du festival. En complément du festival Bis qui propose des concerts gratuits sur la place centrale et au bord du lac et des soirées du chapiteau qui rassemblent près de 7000 spectateurs chaque soir, l’Astrada propose un cadre plus intime. À 500 places, même au dernier rang on n’est pas loin, les propositions artistiques – deux groupes successifs chaque soir - sont volontiers orientées sur la découverte ou des artistes requérant des conditions acoustiques idéales (ce sont les musiciens qui le disent).
Quelques exemples. Prenez la soirée d’ouverture du 27 juillet. D’un côté le trio Mammal Hands, l’un des groupes qui font de Londres la ville du jazz la plus branchée de ces dernières années, grooves profonds et impertinence innovante. De l’autre, le saxophoniste le plus influent sur la nouvelle génération, Donny McCaslin. On l’avait découvert magnifiquement lyrique au sein du Maria Schneider Orchestra, mais depuis qu’il a collaboré avec David Bowie pour son ultime « Blackstar », il poursuit une sorte de ligne sonore sauvagement pop, irradiée de scories lumineuses et son travail sur le traitement du son du saxophone fait des émules partout sur la planète.
Le lendemain, total acoustique, un bal de chambre, entre l’avant-première du nouveau projet de Paul Lay, Deep Rivers, piano, contrebasse et voix et le Bal des mondes de l’accordéoniste Marc Berthoumieux en quartet. Paul Lay avec Simon Tailleu et Isabel Sorling remontant le temps de leur « Alcazar Memories » bardé de récompenses, pour explorer des musiques américaines d’avant le jazz, des chansons de la Guerre de Sécession et d’au-delà du jazz, avec celles de Nina Simone. Une vision lumineuse de la face sombre de l’Amérique.… Pour Marc Berthoumieux il s’agit d’un grand voyage autour de musiques qui font danser les têtes et bouger les pieds. Pour se souvenir qu’avant de se retrouver, populairement savant, dans des salles de concert après 1945, le jazz ne se jouait que dans des salles de bals, savamment populaire.
Il est un détail de L’Astrada qui en dit beaucoup sur ce qui s’y passe. Comme souvent, il est tellement énorme qu’on n’y prête pas attention. C’est la présence du bois qui recouvre l’édifice. Moins à cause de la forêt landaise pas si éloignée, que pour le bois omniprésent à l’intérieur de la salle et qui lui confère une acoustique particulièrement chaude. On y perçoit des nuances et des pianissimos qui passeraient ailleurs pour des silences inhabités… Si Shirley Horn était encore de ce monde, c’est là qu’il aurait fallu la programmer. Je vois ainsi deux concerts en particulier qui devraient bénéficier là d’un écrin parfait. Le 12 août, le trio « Joys & Solitudes » du pianiste Yonathan Avishai, grand magicien des silences frissonnants, avec Yoni Zelnik à la contrebasse subtilement boisée et Donald Kontomanou à la batterie, qui peut vous éblouir en introduisant un classique d’Ellington par une frappe de cymbale à la légèreté d’un voile de tulle…
Autre rendez-vous similaire, le 9 août, à conseiller à ses amis les plus chers et à ceux qui croient ne pas aimer le jazz, le quintet Aksham, rassemblement improbable d’une chanteuse d’origine albanaise, Elina Duni, qui vous distille des confidences à l’oreille, d’un pianiste suisse au toucher délicat, Marc Perrenoud, d’un trompettiste, David Enhco, biberonné au chant lyrique et au jazz et d’une paire rythmique, Florent Nisse, contrebasse et Fred Pasqua, batterie, qui joue davantage avec ses oreilles qu’avec le volume des amplis. Enfin, parce que le côté boisé de la salle induit une chaleur à partager avec gourmandise, on attendra avec la ferveur des phases finales de rugby le rendez-vous du 30 juillet avec les toulousains du quartet Pulcinella, toujours en mode festif. Ils pourraient bien se voir décerner ici une couronne de tournesols. Ça les changerait des violettes.
Alex Dutilh